Objectifs scientifiques

Les bouées GPS ont connu de nombreux développements différents depuis la première utilisation en 1994 à Harvest après le lancement du satellite TOPEX / Poseidon. Les dernières créations relèvent l’antenne par rapport au niveau de l’eau tout en minimisant l’inclinaison afin d’éviter la perte de verrouillage engendrée par les vagues. Ce type de conception permet une définition très précise des hauteurs d’antenne, mais ne permet pas le déplacement en douceur pour couvrir de grandes zones. De l’autre côté, en utilisant des bateaux (au lac Issykkul ou Vanuatu par exemple), il est possible de couvrir de larges zones, mais avec la difficulté d’estimer la hauteur de l’antenne en raison de la dépendance en vitesse, la consommation de carburant ou d’autres facteurs.

Le point clé dans le processus d’étalonnage absolu est que le lien entre la hauteur de la surface de la mer issue des données altimétriques et celle issue des mesures in situ est principalement affectée par la pente du géoïde entre la position de la mesure altimétrique au large des côtes et celle des marégraphes très près de la côte. Cette pente est de quelques cm/km en moyenne et une campagne spécifique GPS a été réalisée en 1999 afin de déterminer une carte du géoïde d’environ 20 km de long et 5,4 km de large centrée sur la trace au sol N° 085 des satellites T/P et Jason sur le site du cap de Sénétosa (Corse).

De ces années d’expériences grâce à la bouée GPS à Sénétosa, nous avons identifié deux problèmes principaux avec le concept basé sur une bouée type « bouée de sauvetage » : d’abord pendant le trajet du marégraphe au point d’étalonnage en mer, beaucoup de pertes de verrouillage sont rencontrées, ce qui dégrade l’exactitude de la solution GPS, ensuite, dans des conditions d’états de mer forts, la bouée s’incline fortement conduisant également à des pertes de satellite. Nous avons donc conçu un nouveau système basé sur un zodiac intégrant à la fois l’antenne et le récepteur. Un tel système permet de minimiser les pertes de verrouillage et une utilisation à relativement grande vitesse (~7 nœuds) afin d’utiliser le même système à la fois pour l’étalonnage des altimètres au moment de survol mais aussi l’extension des géoïdes locaux.

Malheureusement, les tests à différentes vitesses ont montré une forte dépendance de la ligne de flottaison en fonction de l’état de la mer qui est difficile à modéliser pour une précision centimétrique.

Zodiac-GPS à gauche, CalNaGeo en Corse au centre et système couplé radar-GPS à Issyk-Kul à droite

Dans le même but, la Division Technique de l’INSU (DT-INSU) a exploré une autre approche pour construire un GPS mobile pour la cartographie de la surface de la mer qui peut être remorqué à une vitesse élevée. L’idée de base est donc de forcer le point de référence de l’antenne à être à la surface de la mer, en mettant une antenne GPS sur une nappe flottante (CalNaGeo). Les résultats obtenus lors des tests effectués sur le site de Sénétosa ont permis de montrer une très grande stabilité de la ligne de flottaison, meilleure que 3 mm/(m/s) sur la gamme 0-6 m/s et quasi nulle sur la gamme 0-4 m/s. Le seul point négatif de cette instrumentation étant la taille de l’instrument et le temps nécessaire pour la déployer. Il reste malgré tout pour l’instant l’instrument le plus performant pour atteindre une exactitude centimétrique sur la hauteur de la mer que ce soit en statique ou en dynamique.

Mesures avec la nappe CalNaGeo

L’exploitation de navires comme support d’antenne GPS serait de ce point de vue beaucoup plus efficace et pratique. Cela permettrait d’atteindre des vitesses de déplacement plus importantes et de réduire l’équipement utile. Cependant son utilisation est relativement rare dans des opérations de mesure de précision par GPS, car les bateaux présentent généralement une faible stabilité. Ils sont effectivement soumis à des roulis et tangages importants et ont surtout la fâcheuse caractéristique de déjauger au-delà d’une certaine vitesse. Tous ces paramètres modifient grandement la position déterminée préalablement de l’antenne GPS au-dessus du niveau de l’eau, et altèrent donc la précision finale des résultats obtenus. De nombreuses études ont été menées en calibrant avec précision l’attitude d’un bateau en fonction de différents paramètres (vitesse, virage, conditions de mer, charge du bateau, etc…) ce qui permet de connaître précisément la position de l’antenne GPS au-dessus de l’eau. Ces calibrations s’avèrent particulièrement longues, complexe, coûteuses, et ne permettent pas toujours d’obtenir une précision de l’ordre du centimètre.

Aussi, l’idée de mesurer en temps réel, simultanément aux mesures GPS, la position de l’antenne au-dessus du niveau de la mer s’avère particulièrement intéressante : cela permettrait de s’affranchir d’une calibration de l’attitude du bateau, de tenter d’obtenir une précision centimétrique, et donc de simplifier la campagne d’observation en rendant l’utilisation directe et simple d’un bateau possible. Une première expérience avait été réalisée en juillet 2014 sur le lac Issyk-Kul qui avait montré de très bons résultats sur une surface très calme. L’idée du développement demandé ici est de coupler ce système à une stabilisation horizontale temps réelle pour compenser et mesurer les effets d’attitude du bateau lors de mer plus agitée.

Descriptions techniques

Le projet a bien avancé et l’ensemble des développements mécaniques et électroniques ont été effectués. Le premier prototype a été testé en Corse en juillet et septembre 2016. A l’issue de ces tests, il est apparu que quelques réglages et améliorations mécaniques et électroniques étaient à prévoir pour fiabiliser l’instrument car il est amené à subir de fortes sollicitations liées à l’état de la mer. Nous avons donc développé une solution alternative en utilisant un radar acoustique monté sur un bras stabilisateur. Les premiers essais et tests ont été effectués sur la piscine à vague de l’IFREMER en 2018.

Photo du système nommé Cyclopée (radar acoustique et antenne GPS montés sur un bras stabilisateur) à l’avant du bateau pendant la campagne sur la Gironde

Un premier prototype avec une interface de contrôle/visualisation des données contenue dans une boite étanche a été utilisé lors d’une campagne multi-instruments sur la Gironde en octobre 2018. Les mesures ont été comparés aux autres instruments (CalNaGeo développée aussi par la DT-INSU, une bouée GPS et un drone équipé d’un lidar) et donnent des résultats très cohérents. Ces résultats ont été présentés lors de deux colloques dédiés au satellite SWOT respectivement en novembre 2018 et juin 2019 et ont été très appréciés par le CNES qui finance en grande partie ce projet.

Il reste à affiner le système en procédant notamment à sa “marinisation” (surtout le bras stabilisateur) et à la finalisation de l’interface électronique afin de l’optimiser pour de futures campagnes en mer et en eaux continentales. Nous avons aussi comparé les performances de l’altimètre avec un autre instrument (lidar) développé par la société vorteX-io sur le bassin de Luminy en avril 2022. Les résultats ont montré une très bonne stabilité de la précision et exactitude (~1 cm) quelque soit l’état de la surface de l’eau. Une caractérisation de plusieurs modèles d’altimètre (laser notamment) est aussi à réaliser. Le système a été testé en situation marine en juin 2021 et mai 2022 sur le site de Corse lors de campagnes multi-instruments (CalNaGeo, un zodiac-GPS et des marégraphes). Les résultats en cours d’analyse sont très encourageants et montrent des différences moyennes sub-centimétriques entre la hauteur de mer issue de CalNaGeo et celle issue de Cyclopée. L’ensemble des mesures effectuées (plus de 1600 km) lors de ces deux campagnes permettra de reconstituer le géoïde marin utilisé pour la calibration/validation de SWOT.

Nous rentrons dans une phase de finalisation et fiabilisation de l’instrument (principalement les interfaces) dont le prototype restera à la DT-INSU pour continuer son évolution future et un autre exemplaire sera utilisé de façon régulière sur le site de Corse. Les développements au niveau de l’interface utilisateur, l’automatisation, la fiabilisation de l’acquisition et la récupération de données sont notre priorité pour permettre une utilisation par la personne qui est en charge des instruments sur place. D’autres parts, il est aussi nécessaire de renforcer la robustesse du système face aux chocs liés à des états de mer potentiellement forts. Ces développements pourront aussi à terme profiter à une potentielle industrialisation. En effet, ce type d’instruments pourrait être installé sur des navires d’opportunités afin de couvrir de larges zones ou sur des trajets réguliers permettant une comparaison elle aussi régulière avec les mesures satellitaires.

Cyclopée et CalNaGeo dans le port de Propriano

D’autres parts, les résultats obtenus avec CalNaGeo ont fait très bonne impression dans la communauté et la NASA nous a sollicité pour faire une campagne au large de la Californie qui a été effectuée en janvier 2020 afin de préparer la phase de calibration/validation du satellite SWOT. Les résultats de la campagne 2020 sont excellents : ~2 cm rms sur les différences aux points de revisite pour une distance parcourue de 150 km (en ~12 h). Une autre campagne (SWOTALIS, printemps 2023) a été effectuée en Nouvelle-Calédonie où Cyclopée et CalNaGeo (ainsi que des bouées conçues par la DT-INSU) ont été utilisés. A ces fins, des développements pour adapter Cyclopée sur l’Antéa ont été réalisés par la DT-INSU. Aussi dans le cadre de SWOT, deux campagnes sur rivières utilisant Cyclopée ont été réalisées en 2022, respectivement à Madagascar et aux États-Unis (rivière Willamette).

Parmi les développements réalisés pour adapter Cyclopée sur l’Antéa, un bras amortisseur a été ajouté pour limiter les contraintes sur le bras stabilisateur en cas de mer forte. Durant la campagne SWOTALIS, ce bras amortisseur a bien résisté mais l’étanchéité n’a pas été suffisante et de l’eau de mer a court-circuité l’interface du bras stabilisateur. L’instrument a continué à fonctionner sans stabilisation pendant toute la campagne de mesure et nous espérons quand même pouvoir en tirer des mesures exploitables. Une autre version de Cyclopée a été adapté et installé sur le bateau servant sur le site de Corse mais cette fois c’est le bras amortisseur qui a cassé après la deuxième sortie dans une mer pourtant peu agitée. En conclusion, la présente demande se focalise sur l’amélioration de la fiabilité de l’instrument concernant les deux paramètres suivants : trouver une solution d’étanchéité performante et facile à mettre en place à chaque déploiement de l’instrument, et rechercher une solution d’amortissement robuste et simple d’emploi et de réglage.

Voir aussi : Campagne SWOT pre-lauch à Madagascar sur le fleuve Tsiribihina avec Cyclopée.

Contact DT : Michel Calzas
Contact SYRTE : Pascal Bonnefond